Circulaire du Ministre de l’agriculture, du commerce, des travaux publics, aux préfets au sujet du programme des études à mener sur les inondations – 26 juillet 1856

Source - AN, F14 7548

" Monsieur le préfet, "

" L’immense étendue des désastres causées par les dernières inondations, le retour en quelque sorte périodique de ce fléau, qui semble s’aggraver sans cesse, imposent à l’administration des travaux publics des devoirs impérieux. Ses premiers soins devraient être de pourvoir, sans hésitation ni retard, à la réparation des ouvrages détruits ou endommagés par les eaux. Une allocation extraordinaire, votée avec empressement par la législature, l’a mise à même d’organiser immédiatement les chantiers sur tous les points. Partout les routes se réparent, les brèches ouvertes dans les digues se ferment, les communications se rétablissent, et bientôt sans doute les traces des dommages causés aux ouvrages publics par les dernières crues auront disparu. Mais là ne se borne pas la tâche de l’administration. Rétablir les lieux dans leur état primitif, ce serait laissé la pays exposé à de nouvelles catastrophes semblables à celles que nous déplorons. "

" Il faut aujourd’hui que la question de la défense du territoire contre l’invasion des eaux, question toujours éludée ou qui n’a jamais provoquée que des mesures partielles et incomplètes, soit abordée et résolue d’une manière générale. "

" L’Empereur, qui a témoigné une si profonde sympathie pour les victimes des inondations, vient de donner une preuve non moins éclatante du haut intérêt qu’il attache à la recherche des moyens propres à prévenir le retour de pareils désastres. La lettre de sa Majesté, publiée dans le Moniteur du 21 de ce mois, expose nettement dans quel ordre d’idées il convient de chercher la solution à ce difficile problème. "

" C’est en se plaçant au point de vue signalé par sa Majesté que le Conseil général des ponts et chaussées a préparé, d’après mes instructions, le programme des études auxquelles devront se livrer immédiatement MM. les ingénieurs. "

" Ce programme, dont je vous transmets ci-après le texte, comprend, en premier lieu, la demande de renseignements généraux sur le régime de chaque rivière, sa longueur, sa pente moyenne, son débit dans les plus hautes et les plus basses eaux, la situation de ses principaux affluents et leur influence sur les crues. Ces renseignements ont déjà sans doute été fournis, au moins partiellement, soit dans des rapports spéciaux, soit dans des comptes de tournées ; mais il importe aujourd’hui de les coordonner et de les préciser aussi exactement que possible, pour former le point de départ du travail général qu’il est demandé à MM. les ingénieurs. Les éléments du régime de chaque rivière varient nécessairement sur les divers points de son cours ; il conviendra donc de diviser la rivière en plusieurs sections, correspondant soit aux grandes traversées, soit aux affluents qui exercent le plus d’action sur la marche des crues. "

" Le programme indique, en second lieu, les renseignements qui devront être fournis sur les diverses phases de la crue de 1856, et sur sa comparaison avec les crues antérieures. "

" Ces questions s’adressent plus particulièrement aux ingénieurs chargés des rivières dont les vallées ont été atteintes par les dernières inondations. Cependant, pour permettre d’apprécier l’influence que chaque affluent peut exercer sur la crue du cours d’eau principal, il convient que les ingénieurs dans le service desquels ces affluents se trouvent compris répondent aussi complètement que possible à ces diverses questions, en ce concertant au besoin avec les ingénieurs chargés du service de la vallée principale. "

" Les causes des inondations et les moyens à employer pour en prévenir le retour constituent la partie la plus importante, comme la plus difficile, des questions posées à MM. les ingénieurs. Les études qui leur sont demandées sont conçues suivant la pensée qui a dicté les instructions de Sa Majesté. Jusqu’ici, en effet, les digues établies le long du lit des fleuves constituaient le seul moyen de protection contre l’invasion des eaux. Des exemples, trop nombreux, et par-dessus tout les calamités qui ont signalé l’année actuelle, n’ont que trop démontré l’insuffisance de ces ouvrages, qu’il faut consolider, exhausser incessamment, sans que rien ne permette de préciser la limite à laquelle on peut s’arrêter avec sécurité. C’est en prévenant la trop rapide accumulation des eaux dans le thalweg des vallées, par l’établissement de vastes retenues, soit sur le cours d’eau principal, soit sur ses affluents, en ralentissant l’écoulement des eaux pluviales sur le flanc des coteaux ; et en répartissant ainsi sur un espace de temps plus prolongé l’écoulement des grandes eaux ; en s’appliquant à éviter, autant que possible, la coïncidence des crues de divers affluents avec celle de la vallée principale ; enfin, en préparant dans cette vallée même, lorsque les localités le permettront, des réservoirs et des dérivations latérales disposés pour recevoir le trop plein des eaux, que l’on peut espérer prévenir le retour des désastres dont nous venons d’être les témoins. Les digues, dans ce système, réduites à un rôle secondaire, n’auraient plus à supporter l’épreuve de ces irruptions d’eau subites auxquelles rien ne résiste. "

" Il conviendra surtout d’assurer, par un ensemble d’ouvrages établis avec la plus grande solidité, la protection complète des centres de population : il faut que, désormais, nos grandes villes soient mises définitivement à l’abri d’un fléau qui forme un pénible contraste avec l’état actuel de la science. C’est un point que je recommande à toute l’attention de MM. les ingénieurs. "

" Le programme, dont je viens de vous indiquer la pensée générale, est conçu dans les termes suivants : "

" Renseignements généraux "

" 1° - Indiquer, pour chaque section de la rivière, les principaux éléments de son régime, tels que la longueur, la largeur moyenne du lit, la pente moyenne par kilomètre le débit par seconde au moment des plus basses et des plus grandes eaux, la hauteur des plus fortes eaux connues au-dessus de l’étiage, la nature des berges et du fond. "

" 2° - Faire connaître les noms des affluents les plus importants, la position de leurs embouchures, l’ordre dans lequel leurs crues et celles du cours principal s’écoulent habituellement. "

" Renseignements sur la crue de 1856 "

" 3° - Fournil un profil en long sur lequel on tracera, jour par jour, les lignes des hauteurs de la dernières crues, à midi, en se conformant au modèle ci-annexé ; y marquer les point d’arriver des affluents et les hauteurs du couronnement des digues, s’il en existe. "

" 4° - Tracer sur la carte le périmètre de l’inondation. "

" 5° - Indiquer aussi approximativement que possible le débit maximum de la crue, le jour et l’heure de son arrivée aux points principaux, et la vitesse moyenne de sa marche. "

" 6° - Préciser la corrélation qui a existé entre les crues des affluents et celle du cours d’eau principal. "

" 7° - Faire connaître si, avant le maximum de la crue, il était survenu des rupture de digues en amont des repères où ce maximum a été constaté ; dans le cas de l’affirmative, indiquer les points où les ruptures ont eu lieu, donner les dimension des brèches, évaluer le déversement latéral qu’elles ont pu opérer, et en déduire l’effet produit sur la crue. "

" 8° - Indiquer le profil transversal et le genre de construction des digues aux endroits de rupture. "

" 9° - Les digues ont-elles résisté partout où la crue ne les a pas surmontées ? "

" 10° - Si dans quelques points il en a été autrement, par quelles causes la rupture est-elle arrivée sans submersion préalable ? "

" 11° - S’il existe des bourrelets sur les digues, indiquer comment ils ont résisté, lorsque les eaux, s’élevant au-dessus du couronnement des digues, n’ont plus eu d’autre obstacle que ces bourrelets à leur déversement. "

" 12° - Donner le profil transversal et le mode de construction de ces bourrelets. "

" 13° - Quels inconvénients ont pu produire l’insuffisance de l’espacement des digues et l’irrégularité de leur tracé ? "

" 14° - Existe-t-il, entre les digues, des îles ou îlots ou des plantations qui fassent obstacle à l’écoulement des crues ? "

" 15° - Rendre compte des observations qui ont été faites sur les dénivellations que produisaient les ponts au moment de la crue. "

" 16° - Indiquer les ponts qui ont été détruits et ceux qui ont éprouvé des avaries ; quels sont leurs débouchés, leur système de fondation et de construction, et la manière dont les eaux les ont attaqués. "

" 17° - Indiquer les hauteurs qu’ont atteintes les grandes crues dont on a conservé la trace, leurs dates, les affluents qui y ont concouru ; déduire de leur comparaison entre elles et avec la crue de 1856, s’il y a eu progrès dans leur fréquence et leur intensité ; faire connaître, par jour, la quantité d’eau tombée dans la vallée principale et dans les vallées affluentes, avant et pendant la crue de 1856. "

" 18° - A-t-on constaté un relèvement général du lit dans les parties endiguées ? "

" Causes des inondations et moyens et employer pour les prévenir "

" 19° - S’il y a progrès dans la fréquence et l’intensité des crues, en indiquant les causes probables, en faisant connaître s’il a coïncidé avec des déboisements, des travaux de construction ou d’extension des digues, de redressement et du curage du lit des cours d’eau, avec le resserrement de la section par la création de voies de communication de tout ordre, telles que routes, ponts, canaux, chemins de fer, etc. "

" 20° - Rechercher les localités où il serait possible d’établir, tant sur le cours d’eau principal que sur les affluents, des barrages analogues à celui de Pinay, sur la Loire Indiquer le volume d’eau qu’on pourrait retenir dans chaque emplacement, l’étendue du terrain à y consacrer, les ouvrages et la dépenses à y faire, enfin l’influence que ces ouvrages exerceraient sur le régime d’une grande crue. Il faudra, d’ailleurs, en se livrant à cette recherche, ne point perdre de vue qu’il importe au plus haut degré que le maximum des crues des affluents ne coïncide pas avec celui des crues des cours d’eau principal. "

" 21° - Outre cette recherche des mesures applicables aux vallées, on étudiera celles qui pourraient réduire le volume et ralentir la marche des eaux qui descendant des versants, et notamment la possibilité d’ouvrir sur ceux-ci, ainsi qu’on l’a proposé, des séries de rigoles de niveau arrêtant les eaux, et, par suite, les alluvions dont elles sont chargées. "

" 22° - Proposer les moyens les plus efficaces pour protéger d’une manière absolue les grands centres de population. "

" 23° - Indiquer quels sont les débouchés nécessaires pour les ponts ; indiquer les moyens à employer pour obtenir ces débouchés. "

" 24° - Sur les rivières endiguées, et dont les digues ne sont pas suffisamment espacées, faire connaître les moyens de donner un supplément de débouché, soit par l’établissement d’un lit majeur, soit par des dérivations latérales. "

" 25° - Examiner s’il ne serait pas possible et convenable d’établir sur certains points, entre les digues et le coteau, des barrages transversaux qui, en cas de rupture des digues, limiteraient le champ de l’inondation et empêcheraient les courants latéraux, si dangereux pour les vallées. "

" 26° - Rechercher également les points où il serait possible d’emmagasiner les eaux en les introduisant par l’aval. "

" Observations générales "

" 27° - Chaque ingénieur devra, d’ailleurs, sans se croire renfermer dans le cercle des questions qui précèdent, faire connaître les ouvrages faits qu’il aura observés, et les moyens qui lui paraîtraient les plus propres à prévenir le retour des désastres qui viennes de se produire. "

" Tel est, monsieur le préfet, le cadre des études auxquelles MM. les ingénieurs devront se livrer sans le moindre retard. Je ne me dissimule pas les difficultés qu’elles présentent, mais je compte sur tout le zèle et le dévouement de MM. les ingénieurs pour remplir dignement la mission importante qui leur ait confiée, et l’accomplissement de laquelle le gouvernement attache le plus grand prix. "

" Je désire que le résultat de ces études me soit transmis à la fin du mois de septembre, de manière à être examiné en temps utile par le Conseil général des ponts et chaussées. "

" Veuillez m’accuser réception de la présente circulaire, dont j’adresse une ampliation à MM. les ingénieurs. "

" Le Ministre de l’agriculture, du commerce et des travaux publics, "

E. ROUHER

 

Retour à la page après la Crise