Comment les poissons utilisent-ils les habitats après avoir franchi le premier obstacle venant de la mer et comment franchissent-ils les obstacles suivants pour remonter le cours de la Seine ? Le dispositif de suivi des mouvements et des migrations des poissons de Poses à Suresnes est opérationnel depuis mai 2020. Les hydrophones disposés le long du fleuve permettent de détecter des poissons marqués avec des émetteurs. Les premières données sont d’ores et déjà disponibles !
Objectifs de l’étude scientifique
Sept barrages de la Seine ont été équipés ces dernières décennies de dispositifs de franchissement piscicole (1991-2017) . L’expérimentation vise à étudier l’étendue des déplacements et à estimer la connectivité actuelle d’un grand axe fluvial pour les poissons petits et grands migrateurs.
Dans le premier bief (barrage de Poses-Barrage de Port-Mort/ND La Garenne), il s’agira d’évaluer la fréquentation des habitats par ces espèces et leur capacité à se déplacer (migrations latérale et longitudinale); puis au-delà, de ND La Garenne jusqu’à Suresnes, leur capacité à poursuivre leur progression sur l’axe Seine et ses affluents jusqu’aux frayères potentiellement accessibles pour se reproduire.
Ces observations permettront d’estimer le passage au niveau des dispositifs de franchissement existants et l’impact cumulé des obstacles physiques sur l’accessibilité aux habitats fonctionnels. Elles permettront de mettre en évidence les zones potentiellement à préserver et à restaurer afin de rétablir les fonctionnalités du bassin-versant pour les espèces étudiées, et celles aux capacités de déplacement similaires, et ainsi faciliter la réalisation de leur cycle de vie.
Une expérimentation animale très encadrée
Plusieurs années de préparation ont été nécessaires pour obtenir les diverses autorisations nécessaires à la mise en place de ce suivi expérimental. L’autorisation d’utiliser des animaux à des fins scientifiques (APAFIS#23377-2019121916268879 v2) a été obtenue le 3 avril 2020 auprès du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Elle repose sur un dossier complet, déposé par INRAE Bordeaux, présentant l’adéquation des moyens utilisés et des protocoles avec les objectifs du projet scientifique. L’autorisation est donnée suite aux échanges avec des experts du comité d’éthique Nouvelle Aquitaine. La phase de capture, qui est réalisée par des pêcheurs professionnels, a fait l’objet d’un arrêté d’autorisation de la DRIEE, suite au dossier déposé par Seinormigr.
Enfin, pouvoir poser des hydrophones sur le domaine public fluvial s’est fait en accord avec les services des voies navigables (VNF) et de la sécurité du transport fluvial (DRIAE). L’intervention de marquage des poissons a été réalisée sur le site privé VNF de la passe à poisson d’Amfreville-sous-les-Monts et a nécessité la réalisation d’un plan de prévention qui dans le cadre de la crise sanitaire a dû être renforcé.
Un réseau d’hydrophones pour détecter le passage des poissons
Un réseau de 62 hydrophones a été installé avant de procéder au marquage des poissons. Ces hydrophones sont répartis le long des 185 km qui séparent le barrage de Poses et le barrage de Suresnes (voir les points rouges sur la carte ci-dessus). Ils sont disposés le long des berges du chenal en tenant compte des contraintes imposées par la navigation, dans les bras secondaires et à l’entrée des affluents. Une équipe de trois à quatre personnes a posé les 62 hydrophones en bateau du 14 au 27 mai 2020.
Les bouées sont fixes grâce à un système d’ancrage de 30 à 50 kg. L’hydrophone est suspendu à la bouée et lesté pour rester vertical dans la colonne d’eau (voir schéma dans l’image ci-dessus). Les bouées sont identifiées par un numéro, un logo INRAE et un numéro de téléphone dédié à cette expérimentation. Des plaquettes d’information sur cette étude ont été réalisées et envoyées dans les fédérations de pêche (Affiche pêcheurs) et les mairies des communes concernées (Affiche Bouées) puis distribuée aux usagers de la voie d’eau (base loisirs, base nautique, etc…).
Montage de l’hydrophone et du lest |
Localisation de l’hydrophone en amont du barrage de Méricourt |
La capture des individus et le marquage par chirurgie
Différentes espèces ont été capturés au niveau de la passe à poissons d’Amfreville-sous-les-Monts et équipés d’émetteurs acoustiques miniatures codés individuellement (anguille, truite de mer, lamproie marine, barbeau, mulet porc, brème commune…). La capture est réalisée dans la passe à poisson, notamment à l’aide d’un piège installé par les pêcheurs professionnels à la sortie de la salle de vidéo-comptage, ce qui permet de voir quelles espèces sont potentiellement dans le piège. Les individus en bon état et dont le poids est supérieur à 350 g peuvent être marqués avec un émetteur.
Capture dans le piège installé dans la passe à poisson |
Anesthésie d’un mulet porc |
Les poissons sont d’abord anesthésiés. Une opération de chirurgie permet d’insérer l’émetteur dans le poisson, et un antibiotique est ensuite injecté pour éviter les infections. Le poisson est ensuite placé dans de l’eau claire pour surveiller son réveil et son comportement pendant environ une heure, avant de le relâcher dans le chenal en amont de la passe à poisson.
Insertion de l’émetteur dans le poisson |
Surveillance du réveil dans les brancard de transport |
Réveil d’une truite de mer |
Surveillance du poisson dans le vivier et lâcher dans la Seine |
Les opérations de marquage se sont déroulées sur trois semaines du 2 juin au 26 juin avec une équipe de 3 pêcheurs professionnels, 2 personnes de l’association Seinormigr et 6 personnes d’INRAE (Antony et Bordeaux).
Le recueil des détections des individus
Maintenant que les poissons sont marqués, les données de leur détection par les hydrophones sont recueillies sur deux jours environ par semaine. Les 77 individus marqués ont tous été détectés sur l’hydrophone situé à 500m en amont du barrage. Certains individus ont fait des mouvements d’amplitude importante : une lamproie marine a notamment été détectée au barrage de Port-Mort/ND La Garenne, 45km en amont de Poses.
Relève des hydrophones en bateau et stockage des détections des poissons dans la base de données
La première visualisation des données permet de voir l’ensemble des positions dans le temps d’un individu: par exemple le barbeau 1 dont les détections à diverses stations montrent des déplacement assez importants. Il est aussi possible de visualiser l’ensemble des individus détectés par une station, par exemple ci-dessous à la station de Tournedos sur Seine, où 17 individus ont été détectés les premières semaines.
Un bilan plus complet sera réalisé en fin d’été, notamment pour évaluer l’ampleur des mouvements et des trajectoires.
Exemple de localisation du barbeau N°1 sur les stations de détection au cours du temps |
Exemple des individus détectés à la station de Tournedos sur Seine |